Shakespeare in log

Publié le par Laurent Checola

Analyse
Othello, Roméo et Juliette seront-ils bientôt des héros de jeu vidéo ? Cela semble plausible. Un enseignant à l'Université d'Indiana vient en effet de recevoir près de 200 00 euros, pour réaliser un Mmo s'inspirant de l'univers du dramaturge anglais le plus célèbre. Intitulé Arden, the World of Shakespeare, le projet – encore nébuleux - , oscillera entre volonté ludique et intention éducative.


Violence, mort, combats épiques, trahisons. Les univers créés par Shakespeare devraient, de droit, être un terreau fertile, et susciter le plus grand intérêt des développeurs de jeux. Or, aucun projet similaire d'adaptation d'oeuvre littéraire n'a pour l'heure vu le jour.


C'est pourquoi le site Gamasutra, nouveau prosélyte de la « fin de l'art », défend la difficulté pour le jeu vidéo d'acquérir le statut d'oeuvre. Longtemps considéré comme un art mineur, le jeu ne pourrait, par sa nature même, accéder à la reconnaissance esthétique. Si ces dernières années, certains gamedesigners ont acquis une certaine renommée, il est vrai que Miyamoto n'est pas Burroughs, et que Michel Ancel n'est pas au jeu de plateforme ce que Rimbaud est à la poésie.

 

En termes de gameplay, le jeu vidéo souffre de la comparaison avec la littérature. 

 

« Personne ne pourrait défendre que Dostoievski et Beyond good and evil ont quelque chose en commu », explique un analyste. « Faire des épisodes de la saga Final Fantasy des chef-d'oeuvre est faire preuve d'ignorance face à la réalité de l'art littéraire. Visuellement riche ne signifie pas philosophiquement et intellectuellement signifiant. »


De fait, par sa nature même, le jeu vidéo offre moins de possibilités que le médium littéraire. Comment rendre compte des états d'âme d'un personnage, sans recourir à la focalisation interne ? Comment décrire, sans compromettre l'activité du joueur ? Comment multiplier les points de vue dans un jeu ? Fahrenheit, de Quantic Dream, est une tentative pour embrasser tous les points de vue : à la fois tueur et policier. Il s'agit,, à proprement parler, plus de narration interactive, que de cinéma. Mais le jeu se fourvoie rapidement dans nombre de travers.

 

D'une manière générale, le jeu vidéo est un art fondamentalement épique, un art scénique de la monstration. Il est plus proche du théâtre, où le dire coïncide avec le faire, que de l'art romanesque. Certes, une adaptation de roman est envisageable. Ainsi, un game designer baigné de culture et d'idéaux subversifs serait tenté d'adapter la Condition Humaine d'André Malraux. C'est un livre total où la pensée est en acte, et où les personnes ont une profondeur metaphysique. Quel substrat affleurera d'une adaptation vidéoludique ? Que restera-t-il de la première phrase du roman : Tchen tenterait-il de lever la moustiquaire ?

 

En littérature, rompre le noeud gordien de cette incertitude ne relève pas du lecteur. Dans un jeu vidéo, le joueur n'aura que faire des angoisses existentielles de Tchen. Et la Condition humaine version jeu ne sera qu'un succédané de Splinter Cell ou de Freedom fighters


Publié dans Modes

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