Néo réalisme vidéoludique

Publié le par Laurent Checola

Immigré clandestin mexicain, Indien détenteur d'une carte de séjour ou étudiant japonais doté d'un visa. Dans I can end deportation (ICED!), le joueur n'incarne pas une chimère d'heroic fantasy ou de science fiction, mais un triste héros de la réalité.


Perdu dans New York virtuel, le personnage doit faire des choix cruciaux pour sa condition. Pour prendre les transports en commun faut-il acheter son ticket, ou passer par-dessus les barrières ? Voler de la nourriture à la tire ou la payer ? Si le personnage est prix en flagrant délit, il est aussitôt placé au centre de détention, et menacé d'expulsion.


Développé par l'association Breakthrough, le jeu met en situation la condition des clandestins américains. Habitué des campagnes médiatiques, l'organisme humanitaire entend faire éprouver au joueur ce que vit quotidiennement un sans-papier. "Notre organisation utilise des outils créatifs pour donner à connaître les droits de l'homme", précise Breakthrough.


Sorti de sa fonction épique, le jeu vidéo, comme le cinéma, se tourne ainsi vers le réalisme. Non pas ce réalisme publicitaire et fantasmé de la parfaite ressemblance avec le réel, mais le réalisme lucide qui condamne. Usine à rêve comme Hollywood, le jeu vidéo décrirait désormais froidement les affres de la société.


"La nature de ces jeux reflete comment les concepteurs sont devenus plus matures et dotés d'une meilleure conscience politique qu'à l'époque de Pacman ou de Space Invaders", analyse Jamil Moledina, directeur de la Game Developers Conference, dans le Los Angeles Times.


Jeux politiquement incorrects

ICED! sort à point nommé, alors qu'aux Etats-Unis, le débat sur l'immigration fait rage et transcende les clivages politiques traditionnels. Un tel évenement a d'ailleurs inspiré d'autres développeurs. Cynique, Points of entry de Persuasive games, entend réinstaurer de la clarté dans le débat sur l'immigration, dont la population américaine a été privée.


Ces jeux politiquement incorrects sont une tendance de fond dans le domaine des jeux dits "sérieux". Darfur is dying est une référence en la matière. Alors que d'autres jeux dédiés aux crises humanitaires et sociales s'attachent à la gestion de crise, dimension marcroscopique du conflit, Darfur is dying permet d'éprouver le quotidien d'un jeune enfant, d'une femme ou d'un vieillard dans un camp de réfugiés.


De telles productions, fort ambitieuses, entendent changer les mentalités de leurs joueurs. Mais quelle peut être leur audience, quand de tels jeux s'adressent par essence à des marchés de niche ? Les auteurs éclairés, pour la plupart universitaires, doivent courir les bourses et convaincre les philantropes pour obtenir des financements. Est-il d'ailleurs possible de convaincre par la manette ?


Niko Bellic, immigré de l'est de l'Europe, arrive à Liberty City pour assouvir son "rêve américain". Mais pris dans un engrenage, il va renouer avec la violence. Ceci n'est pas le scénario d'un enième "jeu social", mais du prochain épisode de la licence Grand Theft Auto. Déjà vendus à plus de 40 millions d'exemplaires, les titres de Rockstar n'ont évidemment rien d'humaniste. Ils parviennent toutefois à ancrer les personnages dans un background social évocateur et manifeste.

Publié dans Modes

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